Le Mercredi 13 mars, le collectif Trois Tiers est venu rendre visite à une nouvelle initiative locale dans la région de Rochefort, une cantine rurale nommée La Renverse et située dans le petit village de Saint Froult.
Le contexte de Saint Froult
Village bordé par l’océan Atlantique et qui réunit pas plus de 350 habitants, la commune de Saint Froult vient s’ancrer dans un paysage formé d’espaces du littoral, de la mer et des marais. Avec 3 kilomètres de côtes, autant en cours d’eau et 2/3 de surface en zones humides dont une grande partie avec le marais maritime de Brouage, c’est un cadre idéal pour les amoureux de la Nature et les randonneurs. Au nord-est de la commune quelques claires dédiées à l’ostréiculture ; le sud-est la commune fait partie de la réserve naturelle nationale de Moëze-Oléron. Entre les deux se trouve la plage de Plaisance et la côte de Monportail. N’espérons pas prendre de la hauteur à Saint Froult, situé sur la pointe Ouest d’une ancienne presqu’île, l’altitude n’excède pas dix mètres, le village se voit alors encerclé par l’océan lors de tempêtes exceptionnelles (ex : Xynthia)
Origines du projet
Céline et Yan André on vraiment deux parcours distincts, graphiste et environnementaliste. C’est suite à un essoufflement professionnel, arrivés chacun à bout de leur capacité qu’ils décident de resserrer leurs actions sur un territoire restreint qui leurs conviennent mieux. Yan à d’abords suivie une formation afin de réinvestir son énergie dans un projet alternatif avec une ferme bio locale. Mais le projet est vite devenu irréalisable au yeux de Yan surtout au niveau financier, la ferme revenait à investir 10 fois plus que la cantine rurale, pour une même idée au départ. C’est au même instant que le café du village ferma ses portes. Situé à 60 pas de leur habitation, le couple s’est très vite projeté à travers ce lieu et décide de reprendre cet espace avec le même état d’esprit, c’est-à-dire d’essayer de dynamiser un circuit court, de valoriser les producteurs locaux, et de les faire connaître à leurs clients. De travailler sur du bio sans forcément le faire savoir, ce qui est peut-être une originalité en soi.
N’ayant pas d’autre commerces dans le village, la cantine est la seule activité économique de Saint Froult. Son nom provient du terme marin, la renverse, qui signifie l’inversion des marées haute et basse, ça donne la bascule, d’où ce logo qui représente un peu la lune et son action sur les marées.



La Renverse, une cantine rurale multi-fonctionnelle
Avant tout un lieu de restauration convivial, la renverse c’est aussi un dépôt de pain qui fournit l’ensemble du village, et permet de faire vivre le lieu socialement pendant les périodes creuses de la journée; les habitants s’y rencontrent, prennent un café…
Il y a également une bibliothèque à l’entrée, bien fournie par des dons de livres, ce qui permet la gratuité de l’emprunt. Une grande salle centrale qui accueille toute sorte d’événements culturels, concerts, festivals, ateliers et animations en tout genre.
Un coin récréatif pour les enfants pour les divertir afin que les parents puissent profiter pleinement de leurs repas en toute sérénité. Et enfin, une terrasse pour prendre un bain de soleil et un bol d’air frais.
Gouvernance et fonctionnement, un pari à deux !
La Renverse, un café associatif? Seulement en apparence. En effet, Céline et Yan on fait le choix ne pas créer un café associatif pour des raisons de gouvernance du lieu. Venant tous les deux du milieu associatif, ils connaissent les difficultés qui peuvent y avoir dans les prises de décisions dans ce milieu asso. Par contre l’esprit est là, les amis et les voisins viennent aider quand il faut, par exemple pour construire la terrasse, ou encore l’aménagement du lieu c’est fait collectivement, maintenant la gouvernance elle est très simple, s’il a une décision à prendre, c’est au couple de choisir. Pour le reste, c’est une grande famille, il y aura toujours du monde autour.
Le plus dur dans tout ça, c’est peut être la charge de travail conséquente pour faire tourner un tel lieu. Céline et Yan travail à plein temps tous les deux, avec en moyenne 70h/semaine sans pour autant récolter l’équivalent d’un SMIC. Il s’agit donc d’un vrai choix de vie, bientôt trois année que la Renverse a ouvert ses portes, la question de la viabilité est encore de mise aujourd’hui.
Concernant le menu, il est élaboré tous les jours, unique donc et il y toujours un burger en report carné ou végé. Toute la cuisine est à deux… Céline et Yan se sont fait coachés par quelques copains cuistots au démarrage. L’été l’équipe est renforcée d’une personne supplémentaire, deux en cuisine et un au service. Car l’été c’est en moyenne 50 personnes par service. On note donc une vraie adhésion, des vrais gens qui soutiennent ce projet de cantine rurale. N’ayant pas d’autre commerces dans le village, la cantine est la seule activité économique de Saint Froult. Elle ouvre tous les midi à partir de 11 h à 15h sauf le mardi. Et ouvre les vendredi soirs et samedi soirs de 18 à 21h. Le dépôt de pain c’est tous les jours à partir de 11h sauf le lundi.
Une forte mobilisation autour du projet
Du fait que le village soit excentré des grands axes et des grands pôles touristiques, situé dans un PNR, c’est une zone où les gens choisissent de venir, et ne viennent pas là par hasard mais par choix et parfois avec conviction. Des personnes qui se déplacent soit par connaissance de Céline et Yan, soit dans le cadre d’un parcours qui suit le trait de côte… Ainsi la Renverse attire et ce sur un rayon d’environ 150 km!
“On reçoit des personnes qui viennent de Surgères, de La Rochelle, de Saint-Agnant, Marennes et d’Oléron. Donc ces personnes n’hésitent pas à faire des bornes pour venir ici à la Renverse. Il y a plusieurs raisons à ça, d’abords un parti pris un peu militant et s’il y avait un autre restaurant avec ce même état d’esprit plus proche de leur domicile, ils iraient plutôt là-bas qu’ici. Nous avons aussi pas mal de clients végétariens ou vegan qui viennent visiter la réserve et viennent se restaurer chez nous. Cette part de militants représente environ 50%, ce qui n’est pas rien. Concernant la reconnaissance de ce lieu, il y a plusieurs vecteurs, dont le web, avec les réseaux sociaux et sites internet. La Renverse est entre une cantine et un café culturel. Ils organisent des concerts avec une connotation un peu marquée sur de la musique créative au sens jazz, impro… ça permet d’amener des personnes qui roulent sur ces mêmes longueurs d’ondes. Ca permet de situer la zone de chalandise que draine donc la Renverse et qui reste assez large et n’est finalement pas limité au village de Saint Froult.”
Une population adaptée au projet?
Les gens vivent ici des minimas sociaux et ont pour habitude de cultiver leurs jardins et de vendre leurs oeufs. La Renverse génère une économie parallèle de ces personnes qui font comme ils peuvent et qui est possible en campagne. Mais d’après Yan, les habitants ont peur du changement et ont une tendance d’un repli sur eux-mêmes, dans cette campagne un peu trop refermée. Il y a cependant des jeunes retraités qui arrivent sur la côte, le prix de l’immobilier étant très bas dans notre village. Ce qui permet un renouvellement de population, ces gens-là sont accueillis à la Renverse avant même qu’ils passent à la mairie, avec un apéro de bienvenue à chaque nouvel arrivant.
D’après Yan, “Il y a beaucoup de chasseurs aussi, qui ne nous voient pas forcément d’un très bon œil de part le passé LPO (Ligue de Protection des Oiseaux) ou le côté BIO. Ce sont les premiers à râler car selon eux, avant qu’ils reprennent le lieu, c’était un café typiquement ouvrier qui marchait pas si mal. Les gens qui vivaient là depuis longtemps n’avaient pas envie de se taper du boom boom ou encore des gens saouls sortant à la fermeture du bar. Ces chasseurs, malgré du fait qu’ils soient assez éloignés du concept dans lequel on est, acceptent assez volontiers la façon dont on à tourner le lieu. On est plus intégratif, sur une autre forme de population et de clientèle.”
Un avenir proche, entre challenge et viabilité du projet
Aujourd’hui La Renverse est vraiment dans cette période charnière des 3 ans pour connaître la viabilité du projet. Les chiffres sont là, avec 100 000€ de chiffre d’affaire par an, ce qui semble très convenable au vue de la localisation, Céline et Yan aimeraient pouvoir retirer 150 000€ pour pouvoir subvenir à leurs besoins, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui. En effet, il leur faut payer l’activité qui passent par plusieurs intermédiaires comme le comptable, le banquier, les producteurs… Une activité donc qui fait vivre tous ces intermédiaires mais pas encore assez pour répondre aux besoins du couple. Une situation qui reste encore précaire aujourd’hui, mais par passion, et avec tout le sens que ça apporte, Céline et Yan vont pousser pour au moins tester jusqu’au bout ce projet. Toujours dans l’incertitude, sans avoir encore la réponse et une lisibilité sur l’avenir, la cantine rurale de Saint Froult continuera d’ouvrir ses portes.
Le soutien de la mairie serait peut être la clé de cette viabilité, implanté dans des locaux communaux, la soustraction de ce loyer permettrait de rendre le projet viable selon Céline et Yan Mais la commune n’entend pas toujours ce besoin de coopération.
Ce manque de viabilité économique pose différentes questions au couple, ils imaginent des solutions comme augmenter un peu leur prix. Aujourd’hui le menu coûte 13.50 pour l’entrée, plat et dessert, sur des produits frais, avec de la créativité, ce qui reste abordable pour la qualité des assiettes. Mais en milieu rural on ne peut pas afficher non plus des prix trop chers ; et La Renverse tient à maintenir cette mixité entre les personnes qui n’ont pas trop de moyens et viennent se restaurer ici, alors que d’autres plus aisés viennent déjeuner ici plus par convictions. Il n’est pas envisageable d’exclure une population qui ne pourrait pas y accéder autrement.
Une autre solution c’est de ne pas prendre quelqu’un l’été pour aider en cuisine, mais la charge de travail étant déjà considérable, il n’est pas possible aux yeux de Céline et Yan de garder un rythme identique à deux en pleine saison. Ainsi, la solution la plus simple à concrétiser du point de vue de la Renverse serait d’obtenir cette fameuse coopération avec la municipalité, appuyée d’une très légère augmentation du prix pour assurer la pérennité de ce pari des campagnes.
“Ce qu’on peut se dire aussi c’est que plus le temps passe et plus le pari sera gagné. C’est inexorable, on sera obligé de revenir à des trucs similaires, où les fonctionnalités se font sur des cercles un peu plus courts/fermés/petits. On sera obligé, il n’y aura pas le choix à moyen terme que de revenir là-dessus car le reste est tellement débile qu’on va leur laisser se bouffer le nez au gros. Ça ne tient pas la route, ça pollue, c’est de la mal bouffe, c’est cher, ça ne fonctionnera pas. Les gens des campagnes, ils ont vachement compris que leurs modèles de semi autarcie était important. On sait que même si le super U du coin ferme, il y aura les poules à manger, les plantes dans le jardin, les figues… on pourra faire un marché… et donc beaucoup plus de résilience à résister à cette sauvagerie. Donc ça compte aussi dans la façon dont les gens ont envie d’investir la campagne. C’est aussi ce côté survivaliste, n’empêche qu’il y a 40 ans, nos grands-parents faisaient leurs pots et conserves avec les haricots dans le jardin.”
Si on devait décrire la renverse en trois mots?
-Labeur/Travail, un côté inimaginable lorsque l’on a été salarié à 35h
-Rencontre, socialement La Renverse est très riche et permet de réunir un diversité sur un même lieu
-Militant, car c’est un choix, on pourrait faire vraiment autre chose, c’est un dilemme et on se doute, on fait ce qu’on aime mais il faut pas que ça nous coûte moins…
“Les deux activités que je préfère dans ce lieu sont les petits services tranquilles où l’on prend le temps de discuter avec les autres personnes. Et j’aime beaucoup aussi recevoir les groupes de musique et voir la salle pleine. Les gens qui réagissent de manière positive à tout ce qu’on fait !”



